Cirey-lès-Bellevaux
Commune de CIREY
Mais, au XIIème siècle, un évènement va transformer profondément sa vie. En 1120, appelés par les Seigneurs de la Roche (nos voisins de Rigney), 12 religieux de Morimond - en Lorraine -, sous la direction du vénérable Pons, arrivèrent à Cirey et y fondèrent le premier monastère cistercien de la Comté de Bourgogne. Ils choisirent pour ce faire un lieu désert, aux confins de Chambornay et de Cirey, sur des terres données par Etienne de Traves, Bernard de Pons et Ebrard de Cirey, seigneurs de ces lieux.
Ces moines, défrichant les bois, travaillant dur, firent en quelques années de ce qui n'était qu'une vallée marécageuse, une terre fertile couverte de riches pâturages. Bientôt fort nombreux (500 dit-on), ils furent des bâtisseurs, asséchant les marais, construisant des barrages sur l'Ognon, répartissant harmonieusement sur les coteaux vignes et bois. Si plaisante devint cette vallée que l'archevêque Humbert, en 1135, lui donna le nom de " Bella Vallis ", Bellevaux. Au fur et à mesure de leurs acquisitions et de leurs défrichages, les moines divisèrent le domaine en " granges " habitées et exploitées chacune par une douzaine de religieux ; certaines ont donné leur nom à des hameaux voisins : Neuves-Granges, Marloz, Magny-lesCirey.
Au milieu du XIIème siècle, ces cisterciens avaient reçu en dons de l'ensemble des seigneurs de Cirey la totalité du village et de ses dépendances. Une charte de 1130, signée par Anséric, " seigneur archevêque " de Besançon, atteste l'importance des territoires donnés aux moines par Richard de Montfaucon et Renauld de Traves.
Qu'il soit connu à tous que Richard de Montfaucon a donné aux moines de Bellevaux tout ce dont ils pourront à Cirey acquérir la propriété par les dons de ceux qui la tenaient de lui.
Renauld de Traves assistait à ce don. Et lui même tenait du susdit Richard le tiers de la susdite propriété que, néanmoins, Pons, soldat de Cirey, tenait de lui selon le droit féodal. Comme donc Pons, abbé de Bellevaux, demandant humblement au susdit Renauld de Traves jusqu'où il voulait bien faire de la partie de sa justice que Richard avait fait du tout, il a totalement refusé si Richard ne le déchargeait complètement du service dû pour ce fief. C'est pourquoi le susdit Richard, ayant pris connaissance de la délibération de ces nobles gens, a totalement déchargé Renauld du service dû pour ce fief et Renauld a volontiers concédé ce que demandait l'abbé, c'est-à-dire, tout ce qu'il pourrait acquérir dans le tiers de la propriété de Cirey de celui qui la tenait de lui-même. Fait solennellement à Besançon de la main du seigneur archevêque Anseric, avec son approbation, de qui le susdit Richard tenait cette propriété de Cirey.
Témoins Alberic abbé de Baume - Guido abbé - Guido de Montfaucon - fait l'année 1130 de l'incarnation du Seigneur.
Les religieux durent cependant éprouver de grandes difficultés lorsque, appuyés par l'évêque Pierre de Tarentaise, ils prirent, en 1163, la défense du Pape contre l'Empereur Frédéric Barberousse et l'archevêque de Besançon. Mais l'abbaye resta florissante, bien qu'elle ait été pillée au 13ème siècle par les soldats du Comté de Bourgogne, puis par ceux de " l'Empereur, enfin par les Routiers en 1390. Certes, les villageois de Cirey eurent à souffrir de ces invasions puisqu'ils étaient complètement sous la dépendance de Bellevaux.
Un texte de 1503 nous indique en effet les " statuts des paysans " reconnaissance faite par les habitants de Cirey au profit de l'abbaye de Bellevaux, par laquelle ils ont déclaré être mainmortables (astreints à la " main morte ", droit dont jouissaient les seigneurs et en vertu desquels les serfs étaient privés du droit de disposer par testament des biens qu'ils tenaient de leurs seigneurs) de ladite abbaye, taillables et devoir corvées, devoir aussi la septième partie de tous les fruits qui se sèment, de chanvre, de millet, de pois, de fèves, de lentilles et de vaisses qu'ils font pour la haute, moyenne (sic) et basse justice des religieux ; qu'ils ne peuvent aller s'établir ailleurs sans encourir la commise (confiscation des biens d'un vassal) de leurs biens ; qu'ils ne peuvent vendre vin sans la permission de l'abbaye ; qu'ils doivent 3 sols par chaque fauchée de près qu'ils possèdent et 2 sols par chaque maison ". (archives de l'abbaye de Bellevaux, archives départementales de la Haute-Saône).
Mais les moines, par leurs activités multiples, assuraient la prospérité du village. Au XVIème siècle, le canal de dérivation de l'Ognon existait déjà, creusé sous l'instigation des religieux, avec un barrage et un pont pour le franchir. Et comme ces religieux avaient besoin de solides outils pour faire exploiter leurs terres et en même temps pour en faire commerce, ils avaient fait venir un maître de forges de la Ferté-sur-Aube qui avait installé son industrie sur le canal.
Le 5 juillet 1543, ce sieur Didier Hastot vendit la forge de Cirey à l'abbaye de Bellevaux pour la somme de 3 200 F (archives de l'Abbaye de Bellevaux, archives départementale de la Haute-Saône) ce qui n'empêcha pas un habitant de Cirey de faire, l'année suivante, un procès au même Didier Hastot pour détériorations de ses terres dues aux aménagements du canal de la forge (archives de l'Abbaye de Bellevaux, archives départementale de la Haute-Saône).
L'exploitation de cette forge fut de durée restreinte. Est-ce spontanément, est-ce par suite d'une destruction due à quelque envahisseur ? cette industrie fut transférée à Rigney, sur la Corcelle ?
Mais le canal n'allait pas demeurer inemployé et, sur ses rives, les moines firent bâtir un moulin, ancêtre de celui que nous avons connu. Etait-il destiné à remplacer le moulin de Gourdepain, à Chambornay, détruit pendant les guerres du XVIIème siècle ?ou lui était-il antérieur ? les documents manqent à ce sujet, mais la tradition veut que les gens de Chambornay aient accepté l'éloignement du moulin à condition que l'abbé leur établisse un chemin à travers la prairie avec un pont sur le ruisseau. Ce serait l'ancêtre de la route du Plombier !
En tout cas, l'exploitation de ce moulin intéressait directement les gens de Cirey qui avaient l'obligation de l'utiliser en payant redevance, de même qu'ils se servaient des fours de l'abbaye puisque les moines jouissaient du droit de banalité : servitude consistant, à l'époque féodale, dans l'usage obligatoire et public d'un objet appartenant au seigneur. Mais en même temps, ils devaient participer à l'exploitation de ces entreprises et en tirer profit, d'autant qu'avec les années, l'effectif des moines se réduisait.
En effet, la décadence de l'abbaye allait bientôt s'amorcer et ses vicissitudes eurent leur influence sur la vie des paysans de Cirey. Mais les guerres qui décimèrent la province les troublèrent encore bien davantage. En 1614, on ne comptait plus, à Cirey seul, que 34 ménages ; bientôt ceux-ci durent se défendre contre l'épidémie de peste qui ravagea la Comté vers 1630 ; plus grave encore fut l'invasion de la province par les troupes de Louis XIII (1636) ; pendant plus de 10 ans, la région fut soumise aux multiples exactions des hommes de guerre, agresseurs ou défenseurs, Français, Allemands, Suisses, Lorrains, Suédois surtout, les plus féroces, ou même Comtois. Les uns après les autres, les villages furent incendiés, les récoltes saccagées, les habitants dépouillés, torturés et assassinés. Au cours de cette terrible guerre dite de " Dix-Ans ", l'abbaye de Bellevaux fut à peu près anéantie. En 1650, le prieur restait seul. Et il est probable que le village tout entier était devenu un champ de ruines entouré de terres incultes.
Mais, derrière leurs murailles, les principales villes de la province, Dôle, Gray, Besançon, avaient résisté à tous les assauts ; en France, Louis XIII et son ministre Richelieu étaient morts. Mazarin jugea préférable de cesser les hostilités. La Franche-Comté, affaiblie, ruinée, retourna à l'Espagne par les traités de Wesphalie et des Pyrénées (1648-1659).
Il restait aux villageois rescapés à se relever ; leur situation était déplorable, leurs champs en friches, leurs maisons brûlées ; eux-mêmes demeuraient peu nombreux. Reçurent-ils, comme d'autres bourgades comtoises, l'appui de nombreux immigrants venus des provinces voisines (Savoyards ? Lorrains ? Souabes : les actuels Wurtembourgeois ?), en tous cas, ils survécurent et reprirent leur vie de labeur. Ils durent craindre de nouveaux désastres quand en 1674, Louis XIV rouvrit les hostilités et pénétra en Franche-Comté ; mais il semble que les affres de la guerre leur furent cette fois épargnées. Besançon, assiégée, ne résista que quelques jours ; en mai, la province fit définitivement partie du royaume de France (annexion ratifiée au traité de Nimègue en 1678).
Sous leur nouvelle nationalité, la situation des villageois ne dut guère changer. Ils payaient sans doute les mêmes dîmes, s'acquittaient des mêmes corvées auxquelles s'ajoutaient les impôts dus au roi de France. Mais ils allaient enfin connaître la paix et ils eurent alors loisir de reprendre leur vie de cultivateurs laborieux, délivrés de la menace de nouveaux saccages. En même temps, d'ailleurs, la population s'accroissait ; en 1970, on dénombra à Cirey 269 habitants.
Le village comptait d'ailleurs quelques ateliers artisanaux, tous sous la " mouvance " de l'abbaye évidemment. (mouvance : état de dépendance d'un domaine par rapport au fief dont il relevait).
Certes, les forges avaient fait place au moulin. Mais depuis 1720 environ, une tuilerie fonctionnait. En 1763, un descendant d'une famille de faïenciers de Nevers, Simon Coste, attiré par les ressources du pays, installa à Cirey un atelier de faïencerie où il utilisa les services de peintres et de céramistes habiles (cette faïencerie se situait à l'emplacement de l'actuelle maison Maurice Isabey).
Leurs œuvres, de formes et de couleurs harmonieuses, jouirent vite d'une réputation élogieuse.
Malheureusement, cette faïencerie changea plusieurs fois de propriétaire et, en 1780, le dernier en date, Jérôme Sirot, de Melun, décida, en raison du mauvais état des chemins rendant difficile l'écoulement des produits, de transférer son industrie à Rioz. Des faïences produites par cet atelier, il reste notamment une statue de Saint Antoine de Padoue, au décor polychrome, propriété des héritiers Cachot. Cette statue n'a jamais quitté Cirey, exception faite pour l'Exposition d'Art Comtois où elle a figuré en 1906.
Quant à la tuilerie, vendue comme bien national en 1792 à un sieur Bourdon qui l'exploita longtemps, elle fonctionna jusqu'au début du 20ème siècle ; son dernier propriétaire fut un certain Louvet. (Le bâtiment existe encore, propriété de la famille Villain).
Autre évènement qui dut agiter la vie de nos concitoyens, la reconstruction de l'église paroissiale. Primitivement, ce n'était qu'une chapelle cédée en 1143 à l'abbaye de Bellevaux par l'archevêque de Besançon, puis, en 1306, unie à l'église de Chambornay qui seule jouissait de la présence d'un curé résident. Dans la deuxième moitié du 18ème siècle, cette chapelle était si délabrée qu'il devint urgent d'en bâtir une autre.
Les moines de Bellevaux, qui venaient de restaurer leur quartier abbatial, prirent prétexte de ces frais pour se récuser et l'église actuelle, à l'harmonieuse architecture - une des plus belles églises rurales de la région, remarquable notamment par son plan centré en forme de croix grecque, la claire harmonie de ses voûtes et de ses culs de four pénétrés par des oeils de boeuf à l'étage - est due en grande part aux efforts de ses paroissiens. Elle coûta, dit-on, 28 600 livres et, terminée en 1779, fut bénite le 31 décembre par le curé de Chambornay.
Depuis des années pourtant, un vent de réformes soufflait sur la France ; il semble qu'il ait atteint nos pays au début de 1789 ; une ordonnance royale invita les communautés à établir leurs cahiers de doléances et à nommer deux délégués pour se charger de les présenter à l'assemblée du baillage ; le cahier de doléances de la communauté de Cirey, en date du 21 mars 1789, fut approuvé par Colard, Costille, Cadet, Teinson, Pescheur, Caquart, Constance Mouffet, Baudez, Guillin, Hubert Tholomier (du Magny) et Claude-Antoine Nivelle, échevin en exercice. Les habitants de Cirey désignèrent pour les représenter, Simon Marquis, de Cirey, et Hubert Tholomier. Ces cahiers de doléances n'ont malheureusement pas été conservés et nous ne connaissons donc pas les revendications de nos concitoyens.
Les évènements de 1789-1790 eurent naturellement leur répercussion à Cirey. Un décret du 14.décembre 1789 institua dans chaque bourg un corps municipal, élu par les " citoyens actifs, n'étant pas en état de domesticité et payant une contribution directe au moins égale à la valeur de trois journées de travail ". Les mêmes citoyens actifs eurent à élire leurs délégués au conseil de district (cantonal) et les 400 élus de ces assemblées primaires désignèrent à Vesoul les 36 administrateurs du département. Le 6 juillet 1790, ce Conseil Général désigna un directoire de 8 membres " chargés de la liquidation des affaires générales des anciennes provinces ".
C'est à ce moment - 1790 - que les hameaux de Neuves-Granges et de Marloz devinrent des communes indépendantes : ils comptaient alors 214 et 106 habitants.
L'administration des propriétés nationales causa beaucoup de soucis au Directoire du Département. Les municipalités avaient souvent laissé leurs administrés commettre toutes sortes de délits et le Directoire dut nommer des commissaires pour empêcher les déprédations effectuées dans les forêts et les maisons religieuses devenues biens nationaux.
De plus, et bien que les dîmes de toute nature aient été abolies en août 1789, l'Assemblée avait décrété qu'elles continueraient à être perçues jusqu'à ce qu'eût été instituée une autre manière de subvenir " à la dépense du culte et au soulagement des pauvres ".
Mais les paysans assujettis à la dîme, ceux qui avaient été fermiers des maisons religieuses tels ceux de Cirey ne l'entendirent pas ainsi. Tous les droits féodaux étant abolis, les ordres religieux propriétaires des fonds étant dissous, ils refusèrent d'acquitter leurs fermages.
C'est ainsi que, le 28 août 1790, une troupe de particuliers auxquels s'étaient joints les gardes nationaux envoyés pour les contenir se porta à l'abbaye de Bellevaux, injuriant les 5 religieux qui restaient et menaçant les gardiens préposés à la conservation des biens du monastère devenu propriété nationale.
Ce rassemblement des communautés voisines de Bellevaux avait été provoqué par l'annonce du recouvrement des fermages non payés en 1789. Le Directoire fut obligé d'envoyer un détachement de cavalerie et, pour mettre fin à ces agitations, décida de procéder sans tarder au recouvrement des baux à ferme de l'abbaye (cf. Girardot : le département de la Haute-Saône pendant la révolution)
Le 15 octobre, il fit vendre tout le bétail, le fourrage, les voitures et les chevaux du monastère, désormais abandonné par les religieux effrayés par les menaces proférées contre eux à cause de ces fermages dont ils ne bénéficiaient plus.
Enfin, en 1791 eut lieu aux enchères dites " au feu " la vente des biens nationaux de la " ci-devant abbaye de Bellevaux " :
le 28 février 1791, les septième et huitième fauchées de Précumin furent acquises par Claude-François Fuselier, d'Anthon, pour 915 livres 12 sols.
Le 26 avril 1971, le pré dit de l'Etang Darembert, 3 fauchées trois quarts, acquis par Claude Colard, de Cirey pour 1 485 livres.
Le moulin de Cirey, avec toutes les aisances, bâtiments et dépendances, terres labourables et prés, acquis par J-Baptiste Lagrange, de Besançon, pour 25683 livres 11 sols 8 deniers.
Le pré dit de l'Etang Baudet, environ 10 faulx, y compris la chaussée, acquis par Joseph Grosjean pour 8 650 livres.
Le 27 avril 1791, le pré dit le Grand Pré des Planches (6 quarts et demi) entre le Cupillard et les Pêcheurs, acquis par Nicolas Chavanne, de Cirey, pour 547 livres 1 sol 4 deniers.
Le 30 avril 1791, un champ dépendant de la ferme de Bellevaux, 20 journaux de terre, 6 premières fauchées de Précumin et les bâtiments, aisances, dépendances de la Ferme de Bellevaux composée de chambres, grenier, situés aux Neuves-Granges, acquis par Claude Marquier pour le compte de sieur Pourchefrère demeurant à Salins, pour 12 561 livres….
Le 30 avril 1792, le pré des Islottes, autrement dit, l'Isle du Moulin, 9 faulx et demi, acquis par Pescheur, de Cirey, pour 5 habitants, pour 4 050 livres.
L'Islotte au Chaux, 1 faulx, et le petit pré des Planches 1 quart, 12 coupes, acquis par Colard de Cirey, pour lui et J.P. Pescheur, pour 1 200 livres.
Le pré de la Marconne, Le Grand Martin " entre le Loye et les Noirots ", et le Brin Bernard, 15 faulx l'ensemble, acquis par Jean Ferrand, d'Anthon, pour 4 700 livres.
Le 18 juin 1792, les 8 dernières fauchées de Précumin dit la Grande et le Petite " Accrue ", acquis par Pierre Grosjean, pour 10 600 livres après 15 surenchères, et par le même, pour 6 800 livres, les 9 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16 et 17ème fauchées de Précumin.
Enfin, le 9 juillet 1792, la Tuilerie dite de Bellevaux, consistant dans le logement avec grange, chambre à " fourg ", la halle pour fabriquer la tuile, le " fourg " pour la cuire, environ 7 journaux trois quarts de terre labourable, le tout dépendant de la ci-devant abbaye, acquis par François Bourdon, demeurant à la Tuilerie, pour 3 150 livres après 23 surenchères. (document provenant des archives départementales de la Haute-Saône).
Ainsi s'achevaient les rapports étroits qui avaient lié la commune de Cirey à Bellevaux. En 1795, les bâtiments de l'ancienne abbaye furent vendus à leur tour comme biens nationaux, et l'acquéreur les céda au général Pichegru. Celui-ci habita le quartier abbatial pendant une seule année, de sa démission général de l'armée du Rhin jusqu'à son élection au Cinq-cents (une des deux assemblées du Directoire) en l'an V. On dit qu'il y mena joyeuse vie et aussi qu'il y poursuivit maintes intrigues avec les agents du Prince de Condé et les émissaires des émigrés. Le peu de temps que Pichegru passa à Bellevaux lui suffit pour démolir une partie du cloître et faire raser la belle abbatiale dédicacée en 1143 et transformée au cours des siècles. La commune de Cirey racheta pour son église les reliquaires et les boiseries qui ornent encore les autels latéraux ; quant aux pierres tombales qui recouvraient les sépultures de ceux qui avaient désiré être enterrés dans la chapelle, religieux et seigneurs des environs (notamment l'archevêque Jehan de Rougement), elles servirent à payer les granges des villageois du coin.
Pichegru parti, sa famille demeura à Bellevaux puisqu'en 1807, y décédait Etiennette Pichegru, " femme " Cadet, décès déclaré par son mari Claude Cadet et son frère, Jean-Louis Pichegru, prêtre (archives le l'église de Cirey). En 1817, leurs héritiers revendirent l'abbaye à Dom Huvelin, ancien moine du couvent de Sept-Fonds ; il y installa une communauté de 25 religieux qui y rétablirent la règle cistercienne, mais furent chassés par une émeute populaire en juillet 1830 et se réfugièrent en Suisse. L'abbaye devint alors une résidence particulière ; ses derniers propriétaires - la famille de Ganay - qui l'acquirent en 1839, l'entretinrent pendant plus d'un siècle. En 1957, le domaine fut vendu à l'Association des Cœurs Vaillants de Vesoul qui en fit un centre de colonies de vacances. C'est maintenant le foyer culturel bien connu de tous.
Mais il nous faut revenir en arrière pour parler du sort réservé aux reliques de St Pierre de Tarentaise
On sait que ce saint homme, aussi remarquable par ses talents de diplomate que par son édifiante ferveur, abbé fondateur de l'abbaye cistercienne de Tamié en 1132, nommé quelques années plus tard archevêque de Tarentaise, fut amené à faire maints déplacements, tant pour consacrer de nouvelles abbayes cisterciennes que pour évangéliser les campagnes ou défendre les intérêts du Pape et des religieux menacés par des tentatives des schismes. C'est au cours d'un déplacement que, malade, brûlant de fièvre, après s'être désaltéré, dit-on, à la fontaine du Plombier qui porte son nom, il atteignit l'abbaye de Bellevaux où il mourut trois jours plus tard (14 septembre 1174). Il fut inhumé dans la chapelle du monastère, conformément à son désir, malgré les instances de l'abbé de Tamié et des chanoines de Tarentaise qui réclamaient son corps et furent désavoués par le Pape. Canonisé dès le mois de mai 1191, Saint Pierre de Tarentaise devint rapidement l'objet d'une grande vénération. On raconte même que, l'année qui suivit la canonisation, l'affluence des pèlerins fut si grande que les moines ne purent empêcher les femmes de franchir la clôture ; en pénitence, ils furent condamnés à un jour de jeûne, l'abbé à la coulpe ! Ultérieurement, le haut du corps du Saint fut partagé ente les abbayes de Tamié, de Citeaux, et le diocèse de Tarentaise ; à Bellevaux, restaient la tête et le bas du corps, ce dernier dans un sarcophage de granit rose : c'est ce sarcophage, maintenant vide, qui orne actuellement la chapelle gauche de l'église de Cirey.
Arriva la période révolutionnaire, avec la suppression des ordres monastiques et l'interdiction de présenter des reliques à la vénération des foules. Le 24 juin 1791, la commune de Cirey acquit le sarcophage et un buste reliquaire en bois et les fit transporter dans l'église. Quelques jours plus tard, devant quelques notables dont le maire de Cirey et le curé constitutionnel de Chambornay qui desservait notre commune, le vicaire général vint ouvrir le sarcophage et reconnaître officiellement les reliques qu'il authentifia et scella. Est-ce cette démarche qui provoqua de nouveaux pèlerinages, malgré leur interdiction ? En 1793, la paroisse de Verne, dans le Doubs, s'étant déplacée au complet pour vénérer le Saint, les autorités départementales décidèrent de couper court à ce culte et, de Vesoul, fut délégué un membre du district nommé Henri qui, escorté de deux gendarmes, reçut pour mission de s'emparer des reliques.
Non loin de l'église habitait alors une pieuse femme, Madame Veuve Pescheur, aïeule de la famille Caquard ; une tradition veut que cette dame, pour sauver au moins une partie des reliques, ait imaginé une ruse qui faillit mal tourner. Ayant guetté Henri à sa sortie de l'église, elle l'invita à se rafraîchir chez elle avec ses compagnons, et leur ayant fait déposer leur fardeau à la cuisine, elle les introduisit dans sa salle à manger ; pendant qu'ils se régalaient, retournée à la cuisine, elle tailla au couteau dans la dépouille du Saint ; encouragée par ce premier succès, elle se mit à scier un ossement ; mais le bruit fut entendu et, surprise par Henri, elle aurait subi de graves représailles sans l'intervention des gens de Cirey.
Les reliques furent alors emmenées à Vesoul pour y être brûlées ; elles furent mises dans un placard où on les oublia, volontairement peut-être. A la reprise des cultes, elles furent données au curé de Vesoul qui les plaça dans une chapelle de l'église Saint Georges. Malgré les réclamations des habitants de Cirey et les ordres de l'archevêque, la fabrique de la paroisse de Vesoul refusa de les rendre sous prétexte qu'elle les avait sauvées de la destruction. C'est seulement en 1812 que l'église de Cirey en récupéra quelques fragments.